LST-Fi regroupe les activités financières impliquant des LST, à savoir des jetons qui représentent des ETH placés en staking ou d’autres actifs, tout en restant liquides et échangeables. Ces jetons permettent de percevoir des récompenses de staking et sont utilisables dans des protocoles DeFi sans contraindre les utilisateurs à retirer leurs actifs du staking. LST-Fi a émergé à travers des usages simples, comme le dépôt de stETH dans des pools de prêts ou de liquidité, avant de se transformer en un écosystème varié où les LST servent de collatéral, d’actifs de référence pour l’émission de stablecoins, ou de piliers dans des stratégies de rendement structurées.
LRT-Fi, pour sa part, constitue une nouvelle catégorie bâtie sur LST-Fi, en y ajoutant la logique du restaking. Les LRT sont plus sophistiqués que les LST, car ils représentent du capital générant à la fois des récompenses de staking de base et une sécurisation de services décentralisés additionnels via EigenLayer ou d’autres protocoles de restaking. LRT-Fi introduit ainsi des mécanismes de rendement spécifiques au restaking, tels que les frais AVS et les points EigenLayer, qui s’ajoutent aux formes traditionnelles de yield farming de la DeFi. Ce modèle permet d’atteindre une structuration à plusieurs couches, où un même jeton peut cumuler trois types de récompenses ou plus, selon son utilisation.
Cette distinction revêt une importance particulière, car elle implique des profils de risque et des sources de rendement différents. LST-Fi se limite essentiellement au risque de consensus Ethereum, alors que LRT-Fi introduit un risque applicatif lié à l’utilisation de services validés activement et de contrats de restaking. Ainsi, bien que LST et LRT partagent des caractéristiques de composabilité, leur traitement par les utilisateurs et les protocoles diffère sensiblement.
Les LST sont intégrés depuis longtemps aux protocoles de prêt et d’échange du fait de leur rendement stable, de leur faible volatilité et d’une demande soutenue. Des protocoles comme Aave et Compound acceptent stETH et rETH en garantie, tandis que Curve et Balancer proposent des pools de liquidité adossés aux LST, facilitant les échanges entre LST, ETH et stablecoins. Grâce à ces intégrations, les utilisateurs mobilisent leur liquidité sans vendre leurs actifs stakés, tout en continuant à percevoir des récompenses de staking.
Les LRT connaissent désormais une adoption similaire. Par exemple, ezETH (Renzo) et eETH (Ether.fi) sont déposés sur des marchés tels que Gearbox et Morpho, où il est possible d’emprunter des stablecoins ou d’accroître son exposition avec effet de levier. Sur Pendle, les LRT sont scindés en jetons principal et rendement, ce qui autorise l’échange de futurs rendements de restaking ou la mise en place de stratégies de revenu fixe. Certains protocoles développent même des stablecoins intégralement garantis par des LRT, s’appuyant sur la prévisibilité des récompenses AVS pour modéliser la valeur et le mécanisme de rachat à long terme.
Ces usages illustrent une évolution majeure de la DeFi : la transformation des actifs de staking passifs en instruments financiers actifs et générateurs de valeur. En multipliant les couches de rendement et en favorisant la composabilité, LST et LRT s’imposent comme des composantes clés pour bâtir des portefeuilles modulaires de rendement.
Pendle s’est imposé comme l’une des plateformes LRT-Fi les plus dynamiques. Les utilisateurs peuvent y déposer des LRT et les fractionner en deux actifs distincts : un jeton principal (PT) et un jeton rendement (YT). Le PT matérialise la valeur de base du LRT et se négocie comme une obligation zéro coupon, tandis que le YT représente les futurs rendements de restaking et les frais AVS. Cette architecture permet de mettre en œuvre des stratégies avancées, telles que le farming à rendement fixe, la spéculation sur les récompenses ou la couverture du rendement.
Gearbox intègre les LRT à ses comptes de crédit à effet de levier, offrant aux utilisateurs la possibilité de générer des rendements avec des stablecoins empruntés, tout en conservant une exposition à l’ETH restaké. Par exemple, il est possible de déposer de l’ezETH, d’emprunter de l’USDC et de mettre ces deux actifs au service de stratégies de farming au sein d’un portefeuille dont le risque est ajusté, cumulant les incitations issues du staking, du restaking et de la DeFi.
Prisma Finance a lancé un modèle où les LRT servent à émettre des stablecoins, à l’instar de MakerDAO qui utilise ETH ou LST pour garantir le DAI. Cette innovation étend le champ d’application des LRT au marché des stablecoins et permet de bâtir une liquidité décentralisée à partir d’actifs restakés.
Des protocoles comme Kelp DAO et Swell proposent aussi des intégrations DeFi natives, dès l’émission des LRT. L’utilisateur peut ainsi staker, restaker et affecter automatiquement ses jetons à des coffres DeFi ou produits indiciels sélectionnés, ce qui fluidifie l’agrégation des rendements.
La campagne « Mint • Spend • Earn » d’Ether.fi illustre une stratégie LRT-Fi orientée grand public. Elle permet de générer une carte de paiement adossée à de l’ETH restaké, tout en percevant simultanément les récompenses de staking et celles liées à EigenLayer. Cette démarche montre que les stratégies LRT-Fi peuvent s’étendre à la finance de détail, bien au-delà des marchés de capitaux.
L’attrait de LRT-Fi tient en grande partie à la superposition des récompenses. Sur une position LRT-Fi standard, l’utilisateur perçoit à la fois les récompenses de staking d’Ethereum, les incitations AVS d’EigenLayer, ainsi que des points ou allocations d’airdrop attribués par les émetteurs de LRT. Lorsqu’ils intègrent ces jetons à des protocoles DeFi, les utilisateurs peuvent en outre obtenir des récompenses natives du protocole, des intérêts ou des primes de farming.
Ce cumul d’avantages engendre un potentiel de rendement particulièrement élevé, surtout lorsque des mécaniques de points ou des systèmes de récompenses rétroactifs viennent s’ajouter aux incitations existantes. Par exemple, déposer de l’ezETH sur Pendle permet de cumuler des points Renzo, des points Pendle, des points EigenLayer et des frais de trading en une seule opération !
Ce modèle a fait émerger une nouvelle dynamique dans la DeFi, centrée sur la maximisation du rendement via le restaking. Des communautés se rassemblent autour des meilleures stratégies de rendement, de nouveaux outils apparaissent pour suivre la distribution des multiples récompenses, et les modèles de risque s’adaptent à l’analyse de positions composites plutôt qu’individuelles.
Cependant, cette superposition du rendement accroît aussi la complexité des risques. Les utilisateurs sont exposés à de multiples couches de risque de smart contracts, à de potentielles modifications de gouvernance des protocoles, ou à des événements de slashing liés aux AVS. Optimiser le rendement suppose donc une gestion rigoureuse de la liquidité, de la composabilité et de la volatilité sur l’ensemble des couches concernées.
Bien que LRT-Fi progresse rapidement, il reste un segment émergent confronté à des contraintes structurelles. La fragmentation de la liquidité demeure problématique : chaque LRT étant lié à un émetteur et à un ensemble de validateurs particuliers, les marchés secondaires manquent souvent de profondeur par rapport aux LST matures. Cela réduit les possibilités d’arbitrage et peut entraîner des écarts de prix sur des LRT comparables.
La modélisation des risques pose également des défis. Étant donné que les LRT reflètent une exposition déléguée au restaking, ils comportent un risque de slashing provenant des AVS d’EigenLayer. La plupart des protocoles DeFi utilisent les LRT comme collatéral de premier rang, mais rares sont ceux qui disposent de mécanismes pour réagir à des événements de slashing ou à des faillites d’AVS, exposant ainsi le marché à des risques systémiques si plusieurs protocoles intègrent le même LRT sans prendre en compte les risques extrêmes.
L’interopérabilité est par ailleurs limitée. Les LRT demeurent essentiellement cantonnés au réseau principal Ethereum, et même si des protocoles comme Symbiotic explorent des déploiements inter-chaînes, la majorité des activités LRT-Fi restent isolées. Le transfert des LRT vers d’autres blockchains ou rollups ajoute une complexité, notamment sur les dépendances aux oracles et la fragmentation de la gouvernance.
Enfin, la transparence autour du comportement des validateurs et des stratégies de restaking reste insuffisante. Bien que les protocoles fournissent des tableaux de bord et des décompositions des récompenses, les utilisateurs ont rarement une visibilité complète sur les AVS sécurisés par leur capital et sur les risques encourus. La normalisation des reportings, l’évaluation des validateurs et la transparence sur les AVS s’avéreront décisives pour le développement pérenne du secteur.